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Basé sur les
sources suisantes.
Présentation PowerPoint.
Modern South Asia and the World
Professor G. Balachandran
La prolifération nucléaire à destination
et
en provenance d'Asie du Sud
Travail de recherche par:
Jan-Mathieu Donnier
jan@donnier.com
Avril 2006
La prolifération nucléaire est l'action de transférer, de la part d'un état vers un autre état moins avancé dans ce domaine, des technologies sensibles propices au développement d'armes nucléaires ou thermo-nucléaires. Outre le pouvoir symbolique de la puissance atomique, c'est aussi, nous le verrons, une composante essentielle de la stratégie des nations qui possèdent ce savoir.
Le présent travail analyse les différentes implications de la prolifération nucléaire en Asie du Sud, se penchant plus particulièrement sur les cas de l'Inde et du Pakistan, puissances nucléaires de facto depuis 1998.
Nous analyserons ce phénomène sous deux angles distincts: la prolifération nucléaire à destination de ces pays, et les transferts en provenance de ces mêmes pays. Pour chacun, nous nous intéresserons aux origines et aux facteurs ayant permis la maîtrise de l'atome. Nous étudierons également les stocks actuels ainsi que les divers vecteurs qui font des armes nucléaires une composante stratégique centrale dans le système militaire national et qui sont, eux aussi, le fruit d'une prolifération continue. Nous verrons également le rôle dévolu à ces engins dans la pensée doctrinaire générale de chacun de nos sujets. Enfin nous étudierons le rôle joué par l'Inde et le Pakistan dans la prolifération à destination d'autres pays.
Enfin, signalons l’opacité et la complexité de l’étude de ce domaine en nous référerant aux paroles de Mohammed El-Baradei, Directeur Général de l'Agence Internationale à l'Energie Atomique et Prix Nobel de la Paix qui, attirant l'attention sur le lien étroit entre nucléaire civil et programme militaire déclarait qu'au jour d'aujourd'hui entre 35 et 40 pays seraient capables d'assembler des armes nucléaires si ils le souhaitaient.
Un problème crucial, polymorphe et global qui met en danger l’existence-même du monde d’aujourd’hui. ≈
Inde
Carte disponible sous: http://www.ceip.org/programs/npp/india.gif
1. Historique de la dotation nucléaire Indienne:
L’Inde de Gandhi et de Nehru professait le pacifisme et la coexistence harmonieuse entre les peuples. La politique poursuivie et professée par leurs successeurs suivit une logique bien différente.
L’Inde, indépendante depuis peu, cherche à subvenir aux besoins de sa forte expansion démographique et économico-industrielle. En conséquence, ses besoins en énergie vont, eux aussi, croissants. Ainsi, c’est dès 1948, toujours sous l’égide de Nehru, que le gouvernement indien envisage une option nucléaire civile : pour étudier la faisabilité de ce projet est instaurée la Commission de l’Energie Atomique (CEA).
L’Inde se trouve être un bénéficiaire du programme «Atoms for Peace» lancé en 1953 par le président Eisenhower. C’est à ce titre que le Canada va fournir en 1955, peu après la création du Ministère de l’Energie Atomique indien, le premier réacteur nucléaire indien : un réacteur de recherche de type Cirus 40MWt.
A l’époque, l’AIEA n’existe pas et le Canada se contente de demander des assurances écrites du but pacifique poursuivi par l’Inde. En demandant les mêmes garanties, les USA également contribuent au fonctionnement de ce réacteur en fournissant l’eau lourde (EL) nécessaire à son fonctionnement.
1.1 L’origine du programme militaire :
Ce premier pas dans le nucléaire civil s’avérera être une chance sur le plan militaire. En effet, en raison de l’absence totale de contrôle extérieur l’Inde ne doit pas rendre de compte sur les résultats et les orientations qu’elle souhaite donner à son programme. Reniant ses engagements précédents, celui-ci prend vite une tournure plus inquiétante.
En 1958, sous couvert de participer à la recherche dans l’utilisation du plutonium à usage civil, l’Inde se dote d’un centre de traitement, à Trombay, capable de séparer le plutonium des déchets radioactifs produits dans le réacteur Cirus. Cette structure est terminée en 1964 et permet dès lors à l’Inde d’extraire annuellement 10kg de plutonium.
Dans l’intervalle l’Inde va continuer d’accroître son potentiel de production en bénéficiant de la collaboration française. En effet, au cours des années 70, celle-ci collabore à la construction du premier «Fast-Breeder Test Reactor» de 15 MWe. Ce type de contribution est un exemple frappant de transfert de technologie à double usage puisque ce type de système produit de l’énergie… mais crée aussi plus de plutonium de qualité militaire qu’il n’en nécessite pour fonctionner !
Le programme militaire indien est resté confidentiel durant toute sa phase de maturation, aidé en cela par trois facteurs principaux :
1) Le manque de contrôle institutionnalisé sur le plan international.
2) La rhétorique pacifiste de l’Inde qui n’aurait pas laisser présager d’une telle volonté.
3) L’aide massive des occidentaux, dans un domaine si sensible, avec un aveuglement déconcertant.
2. Smiling Buddha :
Le 18 mai 1974, le sous-continent indien entre concrètement dans l’ère nucléaire : «Smiling Buddha», la première bombe atomique indienne détonne à Pokhran dans le désert du Rajasthan. Le gouvernement indien modère sa satisfaction et qualifie humblement son test de «Peaceful nuclear explosion».
La bombe est relativement «petite» : Officiellement elle aurait eu la charge de 20Kt mais les experts occidentaux s’accordent sur une charge de 8Kt. Le matériel fissile (plutonium) nécessaire à sa fabrication à été extrait du premier réacteur indien, fourni par le Canada. Le design de la bombe est vraisemblablement d’origine indigène, de même que la plupart des composants.
2a. Conséquences du premier test:
Considérons maintenant les effets de cette explosion sur les relations extérieures et le domaine nucléaire.
Sur le plan énergétique, les USA ont continué quelques temps à fournir de l’uranium faiblement enrichi, essayant en vain de l’utiliser comme pression pour soumettre l’Inde aux contrôles de l’AIEA. Le Canada, choqué de l’utilisation détournée de son savoir, tenta également de faire pression puis mît un terme à sa coopération avec l’Inde en 1976. Plus généralement, c’est dans ce contexte de suspicion que les nations exportatrices décidèrent la création du Nuclear Supplier Group (NSG) en vue d’étendre le contrôle des matériaux et des technologies sensibles.
Notons toutefois la réaction de la France qui, par le biais de l'Agence Atomique, exprima ses félicitations.
Bien que l’on considère la réaction de la communauté internationale comme relativement passive sur le plan des condamnations politiques, tout cela se traduisit en un frein considérable à l’essor du nucléaire et à la capacité de production électrique à usage civil. A l’inverse ce fût sans doute également une forte motivation pour les scientifiques indiens de maîtriser l’ensemble du processus nucléaire : de l’extraction des matériaux jusqu’à leur retraitement... en passant par le design et la fabrication des éléments nécessaires à la fabrication de l'arme atomique.
L’Inde de son côté s’est dès lors défendue de poursuivre des intentions belliqueuse. Elle avança notamment son engagement dans la préparation du Traité de Non-Prolifération (TNP) de 1968 comme preuve de sa volonté pacifique. Selon la logique indienne, c’est l’insécurité régionale et l’échec d’un désarmement nucléaire global et total qui l’a poussée et l’incite à conserver des armes nucléaires.
3. Situation actuelle :
3a. Sources d’approvisionnement
Aujourd'hui, notamment pour n’avoir pas souscris à aucun des régimes de contrôle, l'Inde est en quasi-autonomie en ce qui concerne le savoir-faire et la manufacture de pièces. Ses scientifiques ont suffisamment d'expérience et ses designs sont désormais testés (individuellement et en tant que système-assemblé). Les relations avec l'extérieur sont donc très limitées, voire inexistantes.
De plus, la richesse de son sous-sol en matières fissiles (Thorium principalement) lui permet de produire, de manière indigène, l'ensemble de la masse critique nécessaire à la fabrication de ses armes. Cela lui permet également de dissimuler un certain nombre de données sur ses stocks de matière fissile, puisque celle-ci n'est aucunement soumise aux contrôles internationaux en vigueur pour les signataires des traités régissant ce domaine.
3b. Nombre d’engins et niveau de modernité
Dès après 1974, l'Inde s’est donc retrouvée «malgré elle» incitée à une maîtrise domestique des processus d'acquisition et de transformation de la matière fissile en uranium enrichi ou en plutonium.
De plus, on constate que l'Inde s'est dotée de la capacité de concevoir et de produire elle-même ses réacteurs, ses missiles, ses systèmes de guidage et ses armes (bombes-A et bombes-H).
En raison du manque de contrôle international et de la volonté indienne de maintenir un certain flou sur ses capacités, les chiffres ci-dessous sont issus d'estimations basées sur des données publiques.
De par ses infrastructures, l’Inde est capable de produire environ 30 kilos de plutonium de par année. Sachant qu’il faut une masse critique de l’ordre de 5 kilos par bombe, alors ses réserves indigènes lui permettent (théoriquement) de produire quelques 6 bombes par année, d’une puissance de 10 à 20 kilotonnes chacune. Ainsi, si l’on en croit de récentes déclarations émanant de l’administration Bush Junior, on estimerait le stock de têtes nucléaires indiennes entre 150 et 200 unités.
Ce stock total est cependant composé de deux types d'engins, lesquels requièrent des techniques de production et d’assemblage bien différentes :
Une partie des armes à la disposition du Nuclear Command Autority sont articulées autour d’un noyau de plutonium. Ces engins sont donc des bombes-H c'est-à-dire des bombes thermonucléaires, dont la puissance est significativement plus grande que celle des bombes-A en raison d’un double processus fission-fusion.
Certaines armes, une minorité, utilisent cependant de l'uranium hautement enrichi. Bien que ces armes soient moins puissantes, elles servent ici à démontrer la capacité et le savoir-faire indien dans ce domaine également.
Dans ce cas précis il est pertinent de parler de prolifération verticale continue. Il s’agit en effet d’un très bon exemple d’accroissement du stock et de la puissance des armes détenues par un état. Là encore, bien que ces pratiques soient interdites, l’Inde ne peut être rendue coupable de violer les dispositions de traités auxquels elle n’est pas partie.
3c. Capacité de «délivrer»
Un des piliers majeur de la dissuasion réside dans les vecteurs. En ce domaine l'Inde est plutôt bien pourvue puisqu'elle aligne une mosaïque variée et moderne, provenant en partie de l'étranger et collectée grâce aux transferts technologiques et aux achats extérieures.
La flotte de vecteurs est composée de bombardiers russes (Sukoï-30, MiG-27, MiG 29) et anglo-français (Mirage-2000, Jaguar) ainsi que de missiles balistiques Agni et Prithvi.
Dans les années 1970, la large coopération des agences étrangères (notamment la NASA -USA- et Glavkosmos –URSS- ) au "programme électronique et spatial" indien explique les étonnantes performances indiennes dans plusieurs domaines : aujourd'hui elle produit elle-même en totalité ses lanceurs et autres satellites et cela s’est révélé d'une aide considérable dans le développement de missiles balistiques ("Prithvi" et "Agni").
Le Prithvi (testé en 1989) est propulsé au combustible liquide et possède un rayon d'action variant selon les versions entre 150 et 250 km, avec une charge entre 500 et 1000 kg. Bien qu'officiellement dépourvu de tête nucléaire, il est théoriquement capable de convoyer des charges nucléaires. Ce sont ces missiles qui sont produits et stockés au Rajasthan, une région frontière avec le Pakistan.
L'Agni est un missile de moyenne portée, testé en 1994, avec une portée de 1'500 km. Cependant les récentes améliorations qui y ont été apportées lui offrent désormais une portée de ~2'500 km, avec une charge de 1000 kg.
On notera également les efforts déployés au début des années 1990 auprès de Glavkosmos (Agence Spaciale de l'URSS) pour acquérir la technologie de propulsion cryogénique. Cela aurait eu pour conséquence d'accroître encore la portée des engins Indiens, cependant les USA s'opposèrent à ce transfert et imposèrent des sanctions envers l'Indian Space Reasearch Organization (ISRO).
Là encore c'est le refus de l'Inde d'adhérer au Missile Technology Control Regime (MTCR) qui lui a permit de développer ses premiers missiles balistiques et qui lui permet, aujourd'hui encore, d'en accroître la capacité et la portée. Là encore, l'Inde, bien que non partie au traité, respecte néanmoins ses règles en s'interdisant tout transfert de technologie à des pays qui chercheraient à se doter de tels vecteurs.
Agni II Prithvi
4a. Doctrine nucléaire :
Longtemps tenue secrète, la doctrine nucléaire indienne a été révélée le 17 août 1999. La position adoptée est celle de la "dissuasion minimum" et du "no first use policy". C'est en termes relativement vagues que le recourt à l'arme atomique y est abordé. En effet, celle-ci déclare que cette capacité de frappe n'est pas nommément dirigée contre un quelconque pays, mais plutôt destinée à permettre aux autorités de faire des choix stratégique dans le meilleur intérêt du pays, sans craindre aucune forme de pression ni de chantage. C'est "l'absence de désarmement global" qui commande à l'Inde de se doter d'une capacité "effective et crédible, et des capacités de rétorsion adéquate, si la dissuasion venait à échouer". Cette doctrine ne devrait servir qu'en cas d'attaque nucléaire, excluant de facto toute utilisation contre un pays qui ne serait pas pourvu de cette mortelle capacité.
Cependant, malgré le charme rhétorique de cette position il convient de concéder les points suivants à la réalité des faits:
En dépit de la "no first use policy", il faut souligner que la capacité de seconde frappe est opérationnelle et prompte à être brandie. La volonté de "suvivability", le constant développement des vecteurs (missiles balistiques et bombardiers surtout), l'accroissement de la puissance des armes elles-mêmes sont autant de facteurs de dissuasion qui font craindre à tout agresseur des représailles massives et en profondeur.
Bien qu'officiellement aucun pays précis ne soit en ligne de mire, dans une lettre adressée au président US William Jefferson Clinton le 13 mai 1998, le premier ministre indien Vajpayee mentionnait la menace chinoise et les incidents de frontière non résolus comme la raison directe des tests menés la semaine précédente. C'est la constance de cette double menace sino-pakistanaise qui pousse l'Inde à chercher l'éventail stratégique le plus complet possible (bombes-A et H de différentes puissances), supporté par des vecteurs de moyenne et de longue portée.
Pokhran, la zone des tests de 1974 et 1998, ainsi qu'un nombre indéterminé de vecteurs sont situés au Rajasthan, zone frontière qui borde le Pakistan. Ceci fait, bien sûr, partie d'une volonté délibérée de dissuasion à l'égard du Pakistan.
4b. Politique d’armement
Une phrase symbolise à elle seule l'ensemble des motivations indiennes: "India must manufacture nuclear weapons for its security as a deterrent".
La capacité nucléaire indienne lui donne cet avantage certain qu’il lui permet "de projeter ses forces militaires pour assurer sa sécurité et affirmer son statut auprès des petits pays de l'océan indien". Ainsi il est donc naturel de voir l'Inde chercher à étendre et diversifier son potentiel. C'est ce but que poursuivaient les essais de 1998, lesquels devaient servir "to help in the design of nuclear weapons of different yields and different delivery systems".
La politique d'armement nucléaire indienne cherche donc à multiplier les engins disponibles, tout en élargissant le spectre des applications par la création d'une palette des puissances aussi diversifiées que possible. C'est là une tentative de se prémunir contre toutes les menaces (qu'elles viennent de Chine ou du Pakistan) qui pourraient affecter la sécurité indienne de telle façon à ce qu'elle juge l'emploi d'armes nucléaires comme adéquat.
5. Attitudes de la Communauté Internationale face au nucléaire indien
De par sa non-adhésion au Traité de Non-Proliferation (TNP) de 1968, New Delhi n’est pas tenu de faire inspecter ses mines, ses centrales nucléaires et ses usines de retraitement. L’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA) n’est pas compétente pour mener à bien les contrôles et les inspections qu’elle effectue ailleurs dans le monde pour les pays-membres. Ceci offre à l'Inde une "position privilégiée" acquise au prix de nombreux sacrifices.
Bien que le premier test indien de 1974 ait entraîné un certain nombre de mesures, c’est également ce qui a conduit l’Inde à trouver de manière indigène les ressources naturelles et les capacités techniques pour mener à bien (et entretenir) ses programmes et son arsenal nucléaire. C'est ensuite en raison de cette autonomie que la CI s'est retrouvée forcée de considérer l'Inde comme une puissance nucléaire de facto. Ainsi, quand bien même certaines sanctions sont imposées, elles n’affectent que très peu le domaine nucléaire, et tendent plutôt à se reporter sur d’autres aires de coopération.
Force est de constater également que l’Inde bénéficie d’une clémence, peu commune en ce domaine, de la part de la Communauté Internationale (CI), et ceci pour quatre raisons principales :
Son caractère démocratique, immuable depuis son indépendance en 1947. Rappelons ici que l’Inde est aujourd’hui la plus grande et la plus peuplée des démocraties de la planète.
Sa traditionnelle retenue en matière de recours à la force armée. Cet argument est de nature à laisser songeurs plusieurs pays limitrophes ayant eu maille à partir avec l’Inde.
La situation géostratégique indienne justifie certaines mesures. La Chine étant un pays nucléaire et le Pakistan l’étant, de facto, devenu, on comprend plus facilement les besoins de l’Inde de pallier à la menace atomique par une capacité de rétorsion du même genre.
La valeur de l’Inde en tant que partenaire stratégique de longue date des USA, ainsi que les relations commerciales existantes entre les deux pays sont de nature à tempérer tout éventuelle sanction américaine. Il en est de même pour une large part des puissances occidentales.
En un mot, aucune obligation ne peut être imposée à New Delhi, sans qu’elle n’y ait elle-même consenti au préalable. Dans le cas inverse, les sanctions s'avèrent peu efficaces. Le contrôle de la communauté internationale dans le domaine nucléaire est donc très limité et sujet au bon vouloir des autorités indiennes.
Il est intéressant de noter, à ce sujet, que bien que ne faisant pas partie de 3 traités principaux en ce domaine (Non-Proliferation Treaty, Missile Technology Control Regime, Comprehensive Test Ban Treaty), l'Inde s'est montrée relativement "bienveillante" à leur égard. En effet, elle n'a jamais outrageusement violé leurs dispositions (à l'export) en diffusant des technologies qu'elle possédait déjà. Les tests de 1998 peuvent, dans cette optique, être considérés comme une volonté de limiter la transgression du CTBT, adopté en 1996 mais pas encore entré en vigueur.
6. Analyse de la non-prolifération en provenance d'Inde
Bien qu'elle possède le savoir-faire et les matières fissiles nécessaires, il convient de souligner que l’Inde "has been scrupulous in ensuring that its weapons material and technology are guarded against commercial or illicit export to other countries".
Notons également que l'Inde a catégoriquement refusé d'accéder au TNP, mais propose, en lieu et place, un régime global de limitation des armements. Ce refus a pour conséquence de l'exclure assez largement du marché et des possibilités d'échange avec les 186 pays membres, sauf en ce qui concerne les installations et le matériel de sécurité.
Analytiquement, on remarque une constante indienne dans toutes les négociations liées au nucléaire : l’Inde participe activement aux discussions préliminaires, use de son influence… puis refuse de signer ou ratifier l’accord qui en est issu. Cependant, elle se conforme, dans les faits, à la plupart des exigences de ceux-ci. De plus elle prône généralement des solutions bien plus radicales que celles rendues obligatoires : de manière générale, elle milite pour une abolition totale et globale du nucléaire militaire, sans exception aucune.
Cette conduite tend affirmer deux points qui motivent toutes les démarches politiques indiennes:
Sa position radicale (=abolition générale et simultanée du nucléaire militaire) étant impossible dans les faits, elle lui fournit la justification (=insécurité globale et régionale) pour la poursuite de son programme nucléaire militaire.
D’autre part, ses propositions et sa participation aux grandes conférences internationales, ainsi que sa relative complaisance avec les traités en vigueur (même si elle n’en fait pas partie) lui donnent une image de pays pacifique, laquelle est l’image que les élites politiques souhaitent perpétuer, dans l’esprit des pères fondateurs.
Pakistan
Carte disponible sous: http://www.ceip.org/programs/npp/pak.gif
1. Historique de la dotation nucléaire à usage militaire :
Alors que le Pakistan était vu depuis la fin des années 1980 comme une puissance capable d’assembler une arme nucléaire, les 28 et 30 mai 1998, plus aucun doute ne subsistait là-dessus : le Pakistan s’affirmait comme une puissance nucléaire de facto.
L’énergie nucléaire a été introduite sur le sol pakistanais dès 1956, dans le cadre du programme "Atoms for Peace" initié par Eisenhower. Ainsi, le premier réacteur de 5Mw, le Pakistan Atomic Research reactor (PARR-1) est construit avec l'aide des Etats-Unis puis mis en service dès 1965. Dans le même temps, de jeunes pakistanais sont envoyés à l'étranger pour y recevoir une formation adéquate. En 1967, 106 jeunes docteurs reviennent au pays pour aider un programme ambitieux.
La quête militaire, elle, est engendrée par la guerre indo-pakistanaise de 1971 au sujet du Pakistan-Oriental (le Bengladesh d’aujourd’hui). Cette guerre, la troisième depuis la partition de 1947, a démontré le déséquilibre militaire face à l’Inde. De plus, la perte de la partie orientale du Pakistan est alors considérée par beaucoup comme une atteinte directe et inacceptable à l’intégrité territoriale du Pakistan, légitimant toute action entreprise pour empêcher ce genre d’événement de se produire à nouveau.
Dès janvier 1972, le Pakistan va se lancer dans une politique d’acquisition de matériel et de savoir directement liés à la technologie nucléaire à usage militaire. Ces achats vont se faire, le plus souvent, dans la clandestinité et parfois même au nom des scientifiques et de leurs représentants à titre individuel. Pour certaines technologies, cependant, c’est bel et bien des relations d’état-à-état qui vont permettre au Pakistan de se doter du savoir et du matériel nécessaire pour initier le programme militaire.
Cette opacité, et les imbrications qui vont avec, va compliquer encore plus la tâche des différents services de renseignements. C’est la raison du flou qui règne sur l’exact avancement du programme de recherche pakistanais.
Le grand public, lui, ne saura pratiquement rien jusqu’au printemps 1998. Avant, seules les sanctions adoptées ca et là permettaient aux initiés de connaître l’ampleur de la menace potentielle.
2. Aide extérieure :
2a. Sources d’approvisionnement initiales
Beaucoup de pays ont contribué, malgré eux, à l’avancement du programme nucléaire pakistanais. Parmi eux, citons notamment :
Les USA qui fournirent le tout premier réacteur de recherche et le combustible utilisé par le Pakistan (1965), notamment pour des expérimentations sur l’extraction du tritium (gaz essentiel à la fabrication d’armes nucléaires).
Le Canada qui a fourni le réacteur de Kanupp (Karachi Nuclear Complex), mis en service en 1972, y compris le combustible, l’eau lourde (et l’usine qui va avec) et les pièces de maintenance.
La France qui a construit, au travers de la firme Saint-Gobin, l’usine d’extraction de plutonium de Chasma dans les années 70.
La Belgique de même que la France, qui a fourni, à son insu, les composants nécessaires à la construction du «New Labs Plutonium Extraction Plant».
L’Allemagne et ses contributions remarquées, notamment dans les domaines suivants :
Equipement de fabrication de combustible nucléaire, notamment des lasers pour les tests de qualité et d'enrichissement.
Equipement complet pour la fabrication d’uranium hexafluoride (utilisé à Kahuta).
Composants électroniques pour le contrôle des centrifugeuses nécessaire dans l’enrichissement d’uranium.
Lithium naturel et usine de purification du tritium (tous deux utilisés pour accroître la puissance des armes nucléaires).
La Suisse à contribué à l’effort général en fournissant des composants pour centrifugeuses à destination des complexes d’enrichissement d’uranium.
La Norvège à contribué directement à la construction d’armes en vendant les programmes et les ordinateurs nécessaires au design de celles-ci.
Enfin, la Chine. Celle-ci étant probablement la source la plus importante d’aide extérieure dans le domaine du nucléaire, elle sera traitée dans un chapitre ultérieur.
Quoi qu’il en soit, la somme de toutes ces assistances a impliqué le transfert d’un certain nombre de savoir-faire et de technologie au Pakistan, l’aidant considérablement dans son processus de maîtrise du cycle nucléaire.
Depuis que l’ensemble de la structure fût mise en place (dès 1987 A VERIFIER AVEC DR KHAN DATE???), le Pakistan n’a plus eu qu’à sauvegarder ses différentes centrales, et usines en tous genres, des contrôles menés par l’AIEA. Il convient ici de rappeler que le Pakistan n’est pas membre du Traité de Non-Prolifération de 1968, et n’est donc, de ce fait, pas tenu de faire inspecter l’ensemble de ses installations.
On peut également situer un pas important dans l’acquisition de technologies militaires avec le retour au pays du Dr. Abdul-Qadeer Khan. Ce dernier est un scientifique pakistanais, qui a longtemps travaillé pour URENCO à Almelo, aux Pays-Bas. Sa fonction lui a permis de prendre connaissance de nombreux secrets relatifs à l’enrichissement d’uranium. Clairement, il aurait transmis de nombreux documents classés confidentiels aux autorités pakistanaises.
A son retour (janvier 1976), l’Inde est une puissance nucléaire déclarée depuis quelques mois : le Pakistan est encore plus pressé de lui montrer son potentiel. Ainsi le Dr. Khan est propulsé à la tête du programme nucléaire pakistanais avec le soutien du premier ministre Bhutto. Il met en place le Engineering Research Laboratories à Kahuta dans le but d’offrir au Pakistan une structure destinée à l’enrichissement d’uranium.
3. Aide étrangère régulière :
Il est indéniable que le Pakistan a dû faire appel aux savoirs étrangers pour mener à bien son propre programme. Nous avons, plus haut, parlé des prémisses de celui-ci, avant que les sanctions américaines me viennent compliquer les affaires d’Islamabad. Il convient maintenant de se pencher sur les aides essentielles reçues dès 1980. Il convient ici de rappeler la nature secrète des informations dispensées, lesquelles sont à considérer avec une certaine retenue.
3a. Aide chinoise :
On peut retracer le début de la coopération dans ce domaine à mars 1965, lorsque Ayub Khan et Bhutto rencontrèrent Chou-En-Lai à Pékin pour discuter des échanges possibles entre leurs deux pays. Au début des années 1980, vraisemblablement en 1983, la Chine a transféré le design complet d’une bombe nucléaire déjà testée avec succès, ainsi que suffisamment de matière fissile de qualité militaire pour la réalisation de deux engins d’une puissance de 20 à 25 kT. Des aides techniques viennent compléter ces aides matérielles: en effet de nombreux scientifiques chinois sont sur le sol pakistanais pour fournir l'assistance nécessaire à l'enrichissement d'uranium de qualité militaire.
En 1986 c’est du gaz tritium suffisant pour 10 armes nucléaire qui est vendu par la Chine au Pakistan.
Dès 1989, les transferts recommencent, et la Chine promet de livrer un réacteur nucléaire de 300MW (PARR-2) à Chashma, lequel devrait être placé sous le contrôle de l'AIEA.
Dans les années 90, la Chine refuse successivement de "corriger" la première bombe pakistanaise, puis de voir un test de celle-ci effectué sur son site de Lop Nur (1994). En 1995 le Pakistan commence la construction d'un réacteur indigène (40 MW) à Khushab, ravivant les craintes d'un manque de contrôle international sur les installations de ce type, favorisant ainsi la production de matériel destiné à des applications militaires.
Les USA n'hésitent pas à affirmer que "prior to China's NPT accession [in 1992] the United States concluded that China had assisted Pakistan in developing nuclear explosives" et qu'aujourd'hui encore "the US Government has continuing concerns regarding possible continuation of China's past nuclear weapons assistance to Pakistan and Beijing compliance with its NPT obligations".
Toujours en 1995, une entreprise chinoise vend 5'000 aimants spécialement destinés à l'enrichissement d'uranium, destinés au Khan Research Laboratories, lequel œuvre activement au programme militaire.
Rappelons que la plupart des éléments sus-mentionnés sont des technologies/matériels à double usage, ce que la Chine n'a de cesse de rappeler, tout en soulignant "China has never transferred or sold technology or equipment for the production of nuclear weapons to Pakistan".
Les USA répondent en déclarant "We think it's best tha China refrain from any type of nuclear cooperation with Pakistan… we don't think it's wise […] the United States does not participate in or encourage in any way any kind of nuclear trade, even with safeguarded facilities, in Pakistan". Pour le Directeur de la CIA, ces transferts dans le domaine du nucléaire s'expliquent par la baisse du volume de vente des armes conventionnelles, poussant les marchands à chercher d'autres marchés profitables .
Enfin le Dr AQ Khan lui-même dément une quelconque implication chinoise dans les réalisations militaire pakistanaises et affirme "I can tell you with full authority and very honestly that we have had no access to any Chinese data"
4. Vecteurs :
Au cours des dernières années, la capacité balistique pakistanaise s’est considérablement accrue, tant quantitativement que qualitativement. La prolifération entre en jeu, notamment en provenance de Chine et de la République Populaire et Démocratique de Corée. Ce chapitre va traiter brièvement de l’acquisition des missiles Shaheen-I et Shaheen-II ainsi que du Ghauri.
Ce besoin de posséder une flotte de missiles performante s’explique en grande partie par la relative faiblesse de l’armée de l’air pakistanaise face à l’aviation indienne. Le projet de développement de missiles est sous la tutelle du National Defence Complex (NDC), lui-même sous l’autorité du Pakistan Atomic Energy Commission. On voit ici, clairement exprimé, le lien qui unit ces deux domaines.
Le début de cette épopée se situe dans les années 1960, lorsque sont importées de France plusieurs modèles de fusées civiles destinées à l’agence spatiale pakistanaise (SUPARCO), puis testées à Sonmiani le 5 mai 1967. C’est sur cette base que le Pakistan va créer ses propres missiles, HATF-1 et HATF-2.
La prochaine étape va se faire avec l’aide de la Chine, laquelle dans un accord conclu en 1987 promet de livrer 34 unités de ses M-11 au Pakistan. Ces engins, d’une portée de 300km et capable de transporter une charge de 500 Kg, parfaitement adaptés pour emporter une charge nucléaire, seront livrés en pièces détachées en 1993, puis rebaptisés HATF-3. Bien que des sanctions soient adoptées en raison de la violation du Missile Technology Control Regime (MTCR), elles seront levées peu après. En attendant, ces unités renforcent la capacité de dissuasion pakistanaise de manière significative.
La Chine aurait également livré, dans le même temps, les plans et les composants nécessaires pour la construction d’une usine capable de reproduire exactement le M-11 chinois. Située dans la région de Rawalpindi elle permet l’assemblage de missiles totalement indigènes. C’est de celle-ci qu’est sorti le missile Shaheen testé le 15 avril 1999. Ce missile, d’une portée de 750km semble tout droit dérivé d’un autre missile chinois, le M-9, vraisemblablement transféré en très petites quantités, et en pièces détachées, à des fins d’études par les scientifiques pakistanais. En Inde cela est la cause de soucis ravivés dans la mesure où la portée de ce missile lui permet d'atteindre Madras, dans le sud du pays.
Le 9 mars 2004, le Pakistan teste le Shaheen-II. Il s’agit là d’un missile à deux-étages, d’une portée nominale de 2'500 km et capable d’emporter toutes les charges que possède actuellement le Pakistan. Encore une fois, il est vraisemblable que ce dernier soit modèle soit basé sur un missile chinois, le M-18 et produit à l’usine de Rawalpindi, laquelle est devenue une pièce maîtresse dans la recherche et le développement de la capacité balistique pakistanaise.
Enfin il convient de noter qu’Islamabad a annoncé pour bientôt son prochain missile de longue portée, baptisé Ghaznavi, mais n’a donné aucune autre information à son sujet.
Plusieurs sources concordantes accusent également la Corée du nord d’avoir fourni au Pakistan une aide technique et des pièces détachées en échange de plans et d’informations sur certaines technologies occidentales, notamment sur les missiles DCA stinger américains. Cette coopération inclut le transfert de missiles Nodong lesquels ont servi de base d’étude pour le développement du HATF-V (ensuite rebaptisé Ghauri), testé le 6 avril 1999. D’une portée de 1’500km et caapble de transporter une charge de 700kg, il vient, à l’époque, compléter l’arsenal balistique avec un missile de moyenne portée. D’autres tests furent conduits en 2000 (le jour de la fête nationale indienne), 2002 et 2004.
Le tableau suivant résume les différentes données contenues dans ce chapitre :
Shaheen I Shaheen II
5. Nombre et type d’engins nucléaires:
Pour des raisons évidentes de sécurité, venant de la menace potentielle que pourrait représenter des éléments instables au sein des forces armées, les armes nucléaires pakistanaises sont toutes sans exception séparées en plusieurs parties: le matériel fissile est stocké en d'autres lieux que ceux dévolus aux autres composants des bombes.
De plus, la modernité et le nombre d’armes que possède le Pakistan est sujet à estimation et ne doit pas être considéré de manière rigoureuse mais plutôt donner un ordre de grandeur. La base de calcul pour estimer le stock disponible se base sur les quantités d'uranium enrichi que le Pakistan peut produire de manière indigène, ainsi que la matière qu'il a importée par le passé. Ainsi, on considère que le Pakistan possédait, au début de l'an 2000, 600 kilos d'Uranium Hautement Enrichi (UHE), principalement en provenance de son centre d'enrichissement de Kahuta. Sachant qu'il faut une vingtaine de kilos d'UHE pour atteindre une masse critique, cela signifie que la Pakistan devait alors disposer d'une trentaine d'engins de type bombe-A.
Sur le plan indigène, si le Pakistan ne stoppe pas ses activités d'enrichissement (comme ce fût vraisemblablement le cas entre 1991 et 1998), ses réacteurs produisent de quoi fabriquer environ 5 bombes-A chaque année. Ainsi, toujours selon ces mêmes estimations, le stock de bombes pakistanaises s'élèverait en 2006 à plus d'une soixantaine.
Par ailleurs, bien que le Pakistan ait cherché à maîtriser le cycle du plutonium, incité notamment par les déchets issus de ses différents réacteurs, le savoir-faire et les quantités produites sont trop limitées pour attendre un réel avancement dans ce domaine d'ici la prochaine décennie. Cependant, avec une quantité annuelle de matière fissile produite évaluée à 2,5 bombes par année, il ne faut pas douter que des efforts continus sont développés en ce sens.
6. Les raisons d'être du nucléaire:
Au Pakistan, la quête identitaire et l'affirmation d'indépendance a toujours été une source de réflexion et une constante dans les choix politiques. L'indépendance comme la valeur suprême, celle qui requiert des sacrifices, qui justifie nombre d'aberrations. Ainsi, on peut considérer la possession d'armes nucléaires par le Pakistan comme découlant directement de l'une des raisons mentionnée ci-dessous:
Force dissuasive contre toute attaque conventionnelle majeure de la part de l'Inde (ce qui revient, pour certains, à favoriser le conflit de basse intensité).
Arme de "dernier recours" pour empêcher la perte de tout ou majeure partie du territoire pakistanais, ou la défaite totale des forces armées pakistanaises.
Instrument symbolique d'unité pakistanaise (surtout après la défaite de 1971), de défiance de l'occident dans l'optique d'assumer un "leadership" des nations islamiques.
Enfin, dans une logique d'échange, la possibilité d'attirer les technologies étrangères, de trouver de nouveaux partenariats stratégiques et d'attirer l'attention de la communauté internationale sur les problèmes propres au Pakistan (notamment le Cachemire).
Il ressort de ceci que l'Inde est la principale menace lorsque l'on considère l'emploi de la force nucléaire. Plus que tout autre nation tierce, l'héritage commun de ces deux pays laisse un goût amer qui perdure aujourd'hui encore et fait craindre le pire si une guerre venait à éclater à nouveau.
7. Doctrine nucléaire et application possibles
En raison de la nature clandestine du programme militaire, très peu de déclarations ont été faites sur la capacité pakistanaise à engager de telles armes dans le cadre d'un conflit. Ce chapitre tente néanmoins de retracer l'évolution de la pensée stratégique pakistanaise dans ce domaine.
Zulfiqar Ali Buttho est le premier, dès 1965, à faire référence au possible développement d’un programme militaire en affirmant “If India developed an atomic bomb, we too will develop one, even if we have to eat grass or leaves or to remain hungry, because there is no conventionnal alternative to the atomic bomb.”
C’est lui également qui va faire part de la première ébauche de doctrine, dès décembre 1974, statuant que si la situation territoriale et/ou militaire est telle que “ultimately, if our backs are to the wall and we have absolutely no option, in that event, this decision about going nuclear will have to be taken.” .
Son successeur, Zia Ul-Haq, affirmait, lui, que l’acquisition de cette capacité stratégique était "a matter of life or death" .
En 2003, le Général Kidwai, en charge du National Command Authority’s (NCA) Strategic Planning Division, déclarait possible un recours au nucléaire dès lors que "the very existence of Pakistan is at stake".
Il ressort clairement de ces déclarations que l'Inde est la principale menace dans l'esprit des stratèges pakistanais. Soulignons néanmoins que le Pakistan n'a, jusqu'aujourd'hui, pas de doctrine nucléaire. Cependant, si l'on se base sur les déclarations des dirigeants successifs, on se rend vite compte que les possibilités d'engagement sont beaucoup plus vaste et permissive que celle des autres nations dotées de l’arme ultime.
8. Prolifération nucléaire en provenance du Pakistan
C'est bel et bien grâce aux transactions clandestines et à toutes les autres opérations d'espionnage "classique" que le Pakistan à réussi à "importer" la puissance nucléaire. Force est de constater que ce même schéma est reproduit en ce qui concerne la prolifération en provenance du Pakistan.
Les premiers rapports signalant des transferts de savoirs et de matériel en provenance du Pakistan apparaissent au cours des années 1990. A l'époque, les pays destinataires ne sont pas clairement identifiés et les efforts de renseignements se concentrent donc sur les activités et les mouvements opérés par Khan et ses intermédiaires.
C'est à partir de l'an 2000 que les services britanniques identifient la Libye comme un acheteur. En mars 2001, sous la pression des USA et de la Grande-Bretagne, le Dr. Khan est relevé de ses fonctions de directeur du programme nucléaire pakistanais. Le "père de la bombe atomique" est accusé d'être directement impliqué dans l'export de centrifugeuses (basées sur les plans qu'il aurait lui-même volé à URENCO au Pays-Bas).
A la suite des attentats du 11 septembre 2001, l'attention se concentre sur les tentatives de groupes tels que Al-Qaïda de se procurer divers éléments nécessaires à la fabrication d'une "bombe sale". Le Dr. Khan est fortement soupçonné de contribuer à ces efforts.
En octobre 2003, l'interception d'un cargo à destination de la Libye, contenant de nombreuses pièces destinées à l'enrichissement d'uranium, mène le Pakistan à enquêter sur les activités du Dr. Khan et de son réseau. L'AIEA elle-même informe les autorités pakistanaises de ses graves doutes quant à l'intégrité morale de cette personne, notamment à cause des observations faites du programme iranien, lequel semble "inspiré" par celui du Pakistan. Au mois de décembre, deux scientifiques du Khan Research Laboratories seront arrêtés pour avoir vendu des secrets nucléaires à l'Iran.
Toujours au mois de décembre, la Libye annonce l'arrêt de son programme militaire. Dans sa déclaration, elle affirme avoir acquis un certain nombre de technologies et de matériel par le marché noir, notamment en provenance du Pakistan.
Le 5 février 2004, après deux mois de pression intense, Khan apparaît à la télévision nationale pour exprimer son repentir en public. Il reconnaît qu'il y a bien eu "proliferation activities by certain Pakistanis and foreigners over the last two decades". Les pays de destination de cette prolifération sont la Libye, l'Iran, la Malaisie et la Corée du Nord.
Anticipant l'embarras dans lequel pourrait se retrouver les autorités, il s'empresse de préciser: "I also wish to clarify that there was never ever any kind of authorisation for these activities by the government. I take full responsibility for my actions".
Selon les déclarations subséquentes faites sur le sujet, le Dr. Khan aurait agit de la sorte dès avant 1989, par pur esprit spéculatif, sans aucune aide la part du gouvernement. Ceci semble plus que douteux dans ce contexte et avec ce type de matériel/technologie, notamment si l'on considère l'échange plus qu'intéressant qu'aurait pu constituer le transfert avec la Corée du Nord (technologie nucléaire en échange de technologie balistique). Cependant, ces excuses publiques et la mise hors-cause de l'état ont été la condition sine qua non d'un pardon présidentiel de la part du président Musharraf. Depuis lors le Dr. Khan vit en résidence surveillée à Islamabad. Ses autres principaux partenaires, le Dr. Farooq et le General Mirza Aslam Beg ont également été relevé de leurs fonctions et mis au secret.
Au jour d'aujourd'hui, de nombreux services de renseignements insistent sur le fait que le réseau de Khan est demeuré quasi-intact. Cette relative immunité dont il a bénéficié lui permettrait donc de continuer ses activités dès que la demande le lui permettra et que des clients suffisamment fortunés se feront connaître.
Dans le contexte actuel on craint avant tout la prolifération à destination d'acteurs non-étatiques, telles que le démontrent les tentatives menées par Al-Qaïda au travers du régime taliban en Afghanistan. La menace est réelle puisque ces entités ne cherchent pas l'arme propice à la dissuasion, mais bel et bien celle nécessaire à une action offensive.
Conclusion
Comme ce travail a pu le démontrer, c'est encore une fois par le biais d'une application civile que le nucléaire sous sa forme militaire a pu se développer en Asie du Sud. Commençant avec de simples réacteurs de recherche, on est arrivé, quelques années plus tard, à l'élaboration d'armes de destruction massive. C'est alors la négation-même du but initial du programme: on a vraisemblablement perdu en route l'optique pacifique et civilisatrice de l'énergie atomique.
Cette recherche a démontré également le lien étroit qui existe entre le domaine nucléaire civil et le militaire. On a pu constater qu'un contrôle international strict et doté de moyens de pression efficaces est indispensable si l'on souhaite se prévenir la prolifération nucléaire à usage militaire. De plus, pour être efficace, celui-ci devrait être omniprésent tout au long du processus: de l'extraction des matières fissiles jusqu'au retraitement, afin d'éviter tout détournement.
Malheureusement, comme on peut le constater, la réalité en Asie du Sud est très variable. Bien que les contrôles de l'AIEA ne s'appliquent complètement ni à l'un ni à l'autre des pays étudiés, on voit des attitudes très différentes quant à la technologie nucléaire:
L'Inde, une fois passé sa "trahison" initiale s'est restreinte de tout transfert, cherchant plus à accroître son propre potentiel que celui de ses alliés ou de ses partenaires commerciaux. Dès 1974, c'est sur le plan indigène que l'Inde à du trouver les ressources, tant scientifiques que naturelles, nécessaires au développement de son programme militaire. Dans ce cas on assiste à une nucléarisation domestique.
Le Pakistan, lui, a cherché à obtenir une capacité nucléaire par le biais du marché noir et des opérations clandestines. La prolifération, à cet égard, s'est traduite pas l'obtention d'une arme nucléaire sur la base d'un modèle chinois, laquelle s'est rapidement révélée une pièce-maîtresse dans la stratégie de défense de l'integrité territoriale pakistanaise. Il en va de même dans le domaine des vecteurs, pour lesquels Islamabad a été très dépendant des apports étrangers pour pouvoir s'équiper.
Enfin en ce qui concerne la prolifération en provenance de l'Inde et du Pakistan on constate, là encore, d'énormes différences. Alors que l'Inde mène une politique très sage dans le domaine des transferts de technologie, s'abstenant de tout contact avec l'extérieur en dépit de ses excellentes connaissances, le Pakistan pratique une "concertation active" avec plusieurs pays cherchant activement à développer un potentiel nucléaire militaire. Cette attitude montre combien le Pakistan lutte pour la survie-même de son programme, obligé de le rentabiliser en trouvant ailleurs ce qui lui manque et en vendant une partie du savoir acquis.
On a pu également se rendre compte de l'immense difficulté et des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à un contrôle effectif de l'utilisation faite de l'énergie nucléaire dans un pays. Ces deux cas de figure semblent représentatifs d'une chose: un pays qui cherche à se doter de l'arme nucléaire y arrive tôt ou tard. Peu de chose, hormis ses propres limites, peuvent alors l'empêcher de disposer de la technologie comme bon lui semble.
Enfin, gardons à l'esprit la mesure de ce dont on a parlé ici. Les armes nucléaires, utilisées en deux occasions il y a de cela 60 ans ont causé plus de 200'000 morts civiles. Des hommes, femmes et enfants sacrifiés sur l'autel du feu atomique pour une cause qui les dépasse. Aujourd'hui encore, dans l'optique d'un affrontement nucléaire entre les deux voisins, le temps de vol des missiles serait de 4 minutes: une fois l'engin lancé, passé toutes les considérations techniques présentées ici, il restera surtout le temps de pleurer sur le triste sort de l'humanité… Là-bas ou ailleurs: à l'ère nucléaire, le pire ennemi c'est la guerre elle-même.
Notes :